J’ouvre
les yeux. Chambre 309. Presque midi. Les cinq autres font trop de bruit. Je
descends l’échelle du lit superposé. Ça grince. Le moche me parle dans sa
langue. Comprends pas. Je sors.
Je longe le couloir carrelé qui
menait autrefois à un bloc opératoire. Trois poussettes devant l’ascenseur. Des
inconnus. Trop d’inconnus. Je prends l’escalier, « la cage » comme on
l’appelle ici. En bas, les mecs zonent sur leurs phones, les filles se terrent
dans les chambres. Mois d’août. Chaleur. Rien.
Pas de lettre contre la vitre de
l’accueil pour moi. La procédure est procédurière. Deux ans et un mois que j’attends.
On attend tous. Positif ou négatif. Pile ou face. Deux mots. Deux vies.
Dehors, ils montent des tentes
militaires. Sur le bitume d’été. Les chambres débordent. Ils ferment d’autres
centres. Nous entassent. Pas le choix.
Je quitte le Centre. Le soleil m’écrase
le front. Pas de bus. Je marche. Des champs plats. Des forêts de pins droits.
Rien. Ici, au milieu de l’ennui, on ne dérange personne. A peine visible. A
peine nuisible.
Après deux heures de sueur, la
ville. Mon dos est un liquide froid. J’ai soif. Je sors mes sept euros de la
semaine. 70 cents. Cristaline. 50 cl. J’aurai du prendre de l’eau.
Je colle les façades, à l’ombre. Je
l’appelle. Pas de réponse. Plus de réponse. Merde.
Retour au centre. Deux lacs
poisseux sous les aisselles. Une douche fraiche en vitesse. En alerte. La porte
n’a plus de verrou. Pas envie d’être surpris. Humilié. Encore.
Chambre 309. Crade. Ça pue. Le
moche devait faire le ménage. Je lui dis. Il s’énerve. Je ressors. Poussettes,
cage, accueil. Une fille a osé s’assoir. Pas longtemps.
J’essaye le téléphone.
Toujours pas de réponse. Merde.
Une femme de l’extérieur dessine
avec des ados du Centre. Je lui montre une photo sur mon téléphone : « Mon
père. Tu peux le dessiner ? ». Elle accepte. Je ne lui dis pas qu’il
est mort. Assassiné. Là-bas. Que ma mère ne répond plus au téléphone. Je me
tais. Elle termine. Merci.
Je suis seul, mais jamais
tranquille. Il y a toujours quelqu’un qui regarde, qui surveille, qui sourit.
Jamais seul et toujours seul. Des inconnus. Trop d’inconnus.
J’attends. Demain peut-être. Positif
ou négatif. Pile ou face. Pile tu restes. Face tu retournes là-bas. Non. Pile tu restes. Face
tu fuis.
Face tu disparais.
Le Centre – Août 2018.
2 commentaires :
très bon texte.
Vif, brutal, sans concession.
"inspiré de faits réels", comme on dit à Hollywood.
Merci!
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